#364 - novembre/decembre 2022
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La Belgique face à la guerre d’Algérie
Focus Algérien·nes de Belgique
Akli Aïssiou ? Georges Laperches ?… Ces noms n’évoquent rien pour la plupart d’entre nous. Ils sont presque passés aux oubliettes de l’histoire, comme d’autres citoyens et citoyennes qui se sont impliqués en Belgique durant la guerre d’indépendance de l’Algérie. Mais peu à peu, grâce à des chercheurs, journalistes et militants associatifs, l’éclairage a fini par se braquer sur cette mémoire partagée.
En France, la mémoire de la guerre d’Algérie (1954-1962) reste un sujet extrêmement épineux, comme en témoignent différentes prises de position récentes d’Emmanuel Macron qui lui ont valu tant les critiques de la gauche que de la droite et de l’extrême droite, évidemment pour des raisons différentes. En Algérie également, les propos du président peuvent heurter, comme ce fut le cas en 2021 lorsqu’il estimait que la guerre d’Algérie constituait “une rente mémorielle”. Les réactions d’Alger avaient alors tendu les relations diplomatiques entre les deux pays, l’Algérie ayant même rappelé son ambassadeur. Bref, 60 ans après la fin du conflit, celui-ci reste un enjeu mémoriel autant que politico-historique majeur, sur lequel les prises de position des uns et des autres n’ont rien d’anodin1.
Mais qu’en est-il en Belgique, pays limitrophe et traditionnellement proche de la France, qui n’a pourtant pas été directement impliqué dans le conflit? Pendant longtemps, l’impact de la guerre d’Algérie en Belgique demeura peu connu. Seuls quelques militants, Algériens ou Belges, se souvenaient d’évènements dont l’immense majorité de la population ignorait l’existence avec cependant quelques exceptions. Une fois le conflit terminé, l’oubli s’est progressivement installé. Il fallut attendre 1992 pour que l’ouvrage d’Hugues Le Paige et Jean Doneux vienne éclairer cette facette méconnue de l’histoire2. Peu de choses ont ensuite été écrites mais, désormais, la recherche sur ce sujet est relancée par l’enquête approfondie et très fouillée de Pierre-Emmanuel Babin dont la thèse devrait être déposée dans les mois à venir3.
Une zone de repli pour des militants
De ces recherches, on peut souligner plusieurs éléments particuliers. Tout d’abord, la présence algérienne en Belgique qui n’est pas élevée, quelques milliers de personnes au plus. Il n’empêche que le pays, par sa proximité avec la France et l’Allemagne, va servir de zone de repli et d’organisation pour une série de militants traqués par la police française. Mouvement National Algérien d’abord, Front de Libération Nationale ensuite, s’y implantent donc fortement, essentiellement dans les régions de Mons, Charleroi, Liège et Bruxelles. En 1958, l’implantation du FLN est déjà conséquente.
Cette activité ne passe pas inaperçue et les milieux algériens sont scrutés de près par la gendarmerie et la Sureté de l’État. En effet, des attentats ont lieu à l’encontre de différents membres de la communauté algérienne. Des violences éclatent entre les deux camps distincts (MNA et FLN). Les forces de police ont alors tendance à parler de “règlements de compte” entre Algériens, reproduisant ainsi une logique coloniale empruntée notamment à la France. Au fil du conflit et alors qu’il est désormais évident que l’extrême droite est impliquée dans certains attentats qui visent certains membres de la communauté algérienne et que le rôle des polices françaises est démontré, les forces de l’ordre belges s’obstinent à analyser les violences comme un problème interne et acceptent le cadre d’analyse que leur fournit leurs collègues français.
Pourtant, parmi la population belge, des citoyens ont choisi leur camp. Souvent issus des diverses tendances de la gauche belge (communiste, socialiste ou chrétienne), choqués par la torture en Algérie, partisans de l’Indépendance nationale, opposants énergiques à la colonisation, pacifistes et humanistes estiment que le comportement du gouvernement français est inadmissible. Ils choisissent d’aider les Algériens, soit par des meetings et des publications, soit, pour certains d’entre eux qui sont avocats, par la défense judiciaire de militants du FLN devant les tribunaux militaires français. C’est le cas de Serge Moureaux ou de Cécile Draps. Une défense élémentaire et salvatrice à l’époque où les inculpés algériens risquent la peine de mort: les avocats éviteront à nombre d’entre eux cette sanction fatale.
Passeurs, hébergeurs
Mais le combat en faveur des Algériens se fait aussi illégal. Conscient qu’il est nécessaire pour le FLN de s’organiser en métropole et d’éviter les poursuites des polices françaises, des militants organisent des “passages” illégaux à travers la frontière, hébergent et cachent des membres du FLN, transportent tracts, matériel militant et toutes choses utiles à la lutte de libération. Certains d’entre eux seront même arrêtés et passeront par la case prison : c’est le cas de Jacques Nagels et Maggy van Loo, arrêtés par la police française alors qu’ils tentent d’introduire en France des exemplaires du journal du FLN.
Le Comité pour la paix en Algérie, animé notamment par la figure de Pierre Le Grève, vise quant à lui à dénoncer le conflit et à soutenir publiquement l’indépendance de l’Algérie. Cette action expose dangereusement ses membres. En mars 1960, deux livres piégés sont envoyés au domicile de Pierre Le Grève et d’un professeur liégeois proche du comité, Georges Laperches. Si, dans le cas du premier, le livre n’explose heureusement pas, pour le second, c’est le drame: le professeur meurt dans l’attentat. La Belgique ne peut plus ignorer qu’elle est concernée par le conflit, d’autant plus que le même mois, l’étudiant algérien et militant du FLN Akli Aïssiou est assassiné à Ixelles. Le meurtre n’a rien d’un règlement de compte entre Algériens: selon les historiens, les services de sécurité français y sont mêlés. Quant aux attentats contre les militants belges, ils émanent d’une organisation secrète, “la main rouge”. Composée d’éléments d’extrême droite, elle possède des liens avec certains services de sécurité.
Après ces drames, l’opinion publique est en émoi et s’éveille davantage à la problématique de l’indépendance algérienne. En mars 1962, juste avant la signature des accords d’Évian, 6.000 personnes viendront écouter Jean-Paul Sartre dénoncer les horreurs de la guerre et soutenir la lutte du peuple algérien. La guerre se termine alors, avec son lot de fractures, et la société belge oublie petit à petit l’implication courageuse et héroïque des uns, les actions troubles et sombres des autres. Désormais, tant dans le monde militant, que diplomatique ou universitaire4, cette facette est remise en avant et interrogée afin de mieux comprendre le rôle qu’un petit pays et ses citoyens ont pu jouer dans un conflit historique pour les Algériens.
[1] “Pourquoi les propos d’Emmanuel Macron suscitent la colère en Algérie”, in L’Obs, 03/10/2021.
[2] Le Paige H. et Doneux J., Le front du nord : des Belges dans la guerre d’Algérie, Bruxelles, Crisp, 1992. L’ouvrage est accompagné d’un documentaire disponible en ligne sur le site de la RTBF : www.rtbf.be/auvio/detail_le-front-du-nord-algerie-belgique?id=2915389
[3] Le chercheur a par ailleurs participé à de nombreux colloques sur le sujet.
Babin P.-E., Le Front judiciaire pendant la guerre d’Algérie. Répression et résistance de part et d’autre de la frontière franco-belge, thèse en cours de rédaction.
[4] Voir à ce sujet les activités de l’asbl LABA Les amitiés belgo-algériennes. Du côté de l’ambassade d’Algérie, une série d’évènements a eu lieu dont le plus récent, pour les 60 ans de l’indépendance, fut une journée d’étude et de commémoration sur la mémoire partagée de la guerre (Algérie-Belgique). http://algerian-embassy.be/conference-debat-algerie-belgique-une-memoire-partagee/
Focus
Algérien·nes de Belgique
Une minorité en croissance
L’immigration algérienne en Belgique a connu plusieurs temps forts, souvent rythmés par l’actualité économique et politique des deux Etats.
Passée à la trappe de l’histoire, la présence d’Algériens en Belgique remonte déjà aux deux Guerres mondiales, lorsqu’ils étaient enrôlés de force comme tirailleurs dans l’armée française. Ensuite, une immigration s’est accentuée à l’époque de la colonisation française fin des années 1940, suite aux expropriations de terres et à l’appauvrissement des Algériens. Ouvriers et mineurs de fond ont continué à arriver dans le cadre de l’accord pour l’envoi de travailleurs signé en 1970 par la Belgique et l’Algérie. A leurs côtés, des boursiers censés rentrer au pays ont préféré faire leur vie ici. Vint ensuite la Décennie noire (1991-2022) où des Algériens ont demandé l’asile politique : d’un côté, des islamistes du FIS (Front islamiste du salut) opposés au régime algérien et, de l’autre, des intellectuels, artistes et journalistes fuyant les menaces islamistes – ce clivage politique s’est immanquablement répercuté dans la diaspora déjà présente. Et ces dernières années, les arrivées ne cessent d’augmenter. Entre 2019 et aujourd’hui, le nombre Algérien.nes résidant en Belgique est passé de 44.900 à 50.600, d’après les chiffres du Consulat général d’Algérie à Bruxelles. Sans compter les personnes sans papiers.
Selon ces temps forts successifs, ces Algériens et Algériennes ont connu une histoire, des luttes et des acquis différents, qui sont à ce jour insuffisamment étudiés. Modestement, nous avons cherché à décrire par petites touches quelques composantes de cette communauté plurielle, en cette année du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie.
Dans les charbonnages du Levant, à Cuesmes, 1955.
Archives de la famille Cherifi.