Hommage à Margalit Cohen-Emerique

A Margalit Cohen-Emerique (1932-2024)

 

Il est des rencontres humaines qui ne laissent pas indemnes, qui modifient profondément notre vision du monde et la manière dont nous envisageons la mise en œuvre de notre combat et de nos engagements. Nombreux sont les travailleurs et travailleuses du CBAI à avoir eu le privilège de suivre l’enseignement de Margalit Cohen-Emerique.

 

C’est à la fin des années 80 que nous avons fait sa connaissance. Nous pouvons dire qu’il y a dans l’histoire de notre institution un « avant » et un « après » de telle sorte qu’il est difficile, si pas impossible, de définir notre objet social et le sens de notre proposition associative sans nous référer aux enseignements que Margalit a acceptés de nous transmettre. A notre tour, nous nous sommes efforcés de former d’autres acteurs sociaux à l’utilité de sa démarche, en ce compris en Italie et en Espagne où nombreux et nombreuses sont ceux et celles qui se réfèrent à ses travaux pour orienter leurs pratiques.

 

Cette femme dont l’enseignement nous mettait à l’épreuve de la rigueur et de l’exigence pédagogique, n’a eu de cesse de nous appeler à relever un défi sur lequel repose la méthode qu’elle a élaborée tout au long de sa vie professionnelle  : faire le pari que, dans nos métiers, dans nos institutions, dans les dispositifs que nous manipulons, il y a beaucoup à gagner à nous ouvrir à l’altérité culturelle de ces autres que nous prétendons aider, accueillir soigner et former.

 

Nous avons la conviction que les outils méthodologiques qu’elle a forgés ont contribué à redonner aux peuples de l’immigration la légitimité politique et culturelle que les sociétés dites d’accueil daignaient leurs accorder.

 

Si nous devions retenir un enseignement, ce serait sans doute celui-c i: dans ce mouvement de retournement que constitue toute véritable rencontre, laquelle figure au cœur de la perspective interculturelle, il ne faut pas s’engager, sans repères ni outils. Sans ces derniers, l’autre peut vite devenir la projection de notre imaginaire, la fabrication de représentations préconçues dont l’héritage s’impose à nous comme un donné souvent impensé, qui transforme la possibilité de la rencontre en un rendez-vous raté.

 

Margalit a été pour nous une initiatrice. Elle nous a appris que notre prétention à provoquer les conditions de possibilité de la rencontre entre les groupes et les sujets qui les constituent, exigeait que nous commencions par nous-mêmes, en dirigeant notre vigilance de professionnels et/ou de militants, sur notre regard, sur le fait que celui-ci est une construction héritée et située.

 

Dans la fureur du monde, dans les remous qui nous affectent, puissent celles et ceux qui se revendiquent de ce défi auquel sa pensée nous invite, entendre cet appel à l’humilité.

 

A Margalit et à tous ses proches, nous destinons notre gratitude.

 

Alexandre Ansay, directeur du CBAI et Christine Kulakowski, directrice du CBAI de 2000 à 2020