Fils de Hasard, Espérance et Bonne Fortune
Fils de Hasard, Espérance et Bonne Fortune
Martine De Michele (En Cie du Sud)
Salvatore, Luigi, Benito, Italo, Filipo, Antonio, Modesto… Il y a 75 ans, ils vivaient quelque part en Italie. Un beau jour, l’Histoire a orienté leur destin. En juin 1946, la Belgique et l’Italie signaient les “accords du charbon”. La Belgique s’engageait alors à envoyer, chaque jour, en Italie, quelque 200 kilos de charbon par ouvrier mineur expédié. Ce pacte allait provoquer d’importants flux migratoires, à savoir, des milliers d’Italiens prêts à tenter “l’aventure” dans les mines en Belgique. Dans ces charbonnages aux noms prometteurs – Hasard, Espérance et Bonne Fortune – commencent à arriver, par dizaines de milliers, des bras que la Belgique vient d’acheter en Italie.
Ce chapitre de notre Histoire nous oblige à revenir sur le quotidien de tous ces hommes et ces femmes qui ont été déracinés, qui ont fait face à diverses formes de violence, qui ont subi une certaine forme de rejet avant de vivre une réelle intégration. Autant de questions sur le passé et le succès plus ou moins relatif d’une immigration réussie… mais la conclusion est sans doute hâtive et certainement édulcorée par ceux et celles qui voudraient croire qu’il existe des migrations « justes » et d’autres qui le sont moins.
Comme des milliers d’hommes frappés par le chômage, la misère, la faim, Salvatore, Benito, Luigi Italo, Franco, Marino… ont quitté leur famille, leurs amis, le ciel bleu de leur village pour descendre dans les houillères et participer à ce que la Belgique appelait la « bataille du charbon ». Ils sont partis en chantant, en pleurant… En crachant parfois sur la terre trop ingrate qui les avait vus naître. Mais quels que soient leurs sentiments au moment du départ, ils ont bouclé leurs valises dans l’espoir de faire fortune ou, du moins, de mener une vie décente. Par les fenêtres du train qui les emmenait loin de chez eux, ils ont tous crié : “Tornero, tornero”… ” Je reviendrai”
Réceptacle d’une mémoire et d’une parole authentique, Hasard, Espérance et Bonne Fortune s’est nourri, lors de sa création en 1996 par Francis d’Ostuni et le Théâtre de la Renaissance, des témoignages de Salvatore Abissi, Luigi De Fina, Benito Cuccu et Italo Palmieri. Durant des semaines, ils ont partagé leur histoire avec l’équipe. Ensemble, ils ont remonté le cours du temps pour retrouver les accents du pays, les odeurs du village, les émotions brutes liées au départ, l’angoisse provoquée par la première descente dans la mine. Ensemble, ils ont exhumé les images de leur jeunesse pour, enfin, pouvoir en rire et se jouer d’elles.
Même si Hasard, Espérance et Bonne Fortune s’inspire d’un moment précis de l’Histoire, il se veut résolument universel et trans-générationnel. Il donne corps à la fois à ces témoins d’une époque mais aussi, par résonance, aux migrants actuels ainsi qu’à toutes les questions sensibles et fondamentales qui émergent de cette problématique: l’exil, l’accueil, l’intégration, la solidarité, etc.