#360 - janvier/fevrier 2022
Ecoles de devoirs, devoir des écoles
#360 - janvier/fevrier 2022
Au pays de Magritte, les écoles de devoirs ne sont pas des écoles après l’école, et on n’y fait pas que des devoirs. Alors passons par quelques petits détours historiques pour mieux comprendre l’évolution des relations entre école de Devoirs et école.
Depuis toujours, le destin des écoles de devoirs est lié au monde scolaire avec qui elles entretiennent un lien parfois complexe: connues pour leurs missions de soutien scolaire et d’accompagnement des enfants dans la réalisation des travaux à domicile, elles revendiquent l’importance des autres missions socioculturelles, au service de l’épanouissement des enfants.
Et cela passe parfois par une remise en cause du système scolaire en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) qui renforce encore et toujours les inégalités, malgré les efforts de beaucoup d’enseignants. Cette critique était plus virulente au début du mouvement. Aujourd’hui, la vigilance reste de mise, mais l’heure est plutôt au désir de travailler de manière conjointe pour former une véritable alliance éducative entre écoles de devoirs, écoles et familles au service d’un avenir meilleur des enfants et des jeunes, plus particulièrement ceux qui proviennent d’un milieu dont les codes sont très éloignés de ceux de l’école. Cela prendra sans doute encore un certain temps.
La Fédération francophone des Ecoles de Devoirs est d’ailleurs active au sein de la Plateforme de Lutte contre l’échec scolaire, plateforme qui regroupe associations, fédérations de parents et syndicats. Nous y suivons particulièrement la mise en place du Pacte pour un Enseignement d’Excellence avec une grande vigilance sur la question des inégalités scolaires.
Les premières Ecoles de Devoirs sont nées durant les années 1970 dans les quartiers populaires de Bruxelles au sein d’associations militantes1 qui partaient du constat que l’école ne jouait pas son rôle d’ascenseur social. Au-delà de la lutte contre l’échec et le décrochage scolaires, elles voulaient développer des espaces de culture au sens large qui valorisent la culture d’origine des enfants tout en leur donnant des clés de compréhension de la culture scolaire. Influencées par Bourdieu et Passeron et la fameuse théorie des capitaux, elles s’inspirent d’une expérience pédagogique novatrice venue d’Italie : l’école de Barbiana, bien connue grâce à un ouvrage très polémique pour l’époque intitulé Lettre à une maîtresse d’école. Ecrit par un collectif de jeunes adolescents, aidés par le prêtre fondateur du mouvement Lorenzo Milani, cet ouvrage dénonce de manière virulente les mécanismes de sélection opéré par l’école. Don Milani défendait la culture ouvrière et a démontré jusqu’à sa mort qu’on pouvait enseigner autrement.
Dès l’origine du secteur, des expériences variées se développent. Certaines ont des ambitions politiques et culturelles plus marquées : valoriser la culture d’origine du public et changer l’école. D’autres donnent plutôt une réponse pragmatique à la demande des enfants et des jeunes : préparer les leçons, faire les devoirs, tout en développant souvent des techniques nouvelles pour apprendre autrement. Aujourd’hui comme hier, toutes les écoles de devoirs veulent cependant se démarquer des études dirigées et se présentent comme 1001 lieux de vie, avec des nuances plus ou moins scolaires, mais toujours avec l’objectif de se centrer sur les besoins de l’enfant et de les ouvrir à tous les possibles tout en les valorisant2.
À la suite des premières expériences bruxelloises, de nombreuses expériences seront tentées dans les grandes villes comme Liège et Namur, mais aussi de plus en plus en milieu rural et semi urbain.
Là aussi, nous retrouvons de grands militants comme Ariste Wouters, fondateur de la Teignouse à Aywaille, une association qui vient en aide aux plus précarisés, et premier président de la Fédération francophone des Ecoles de Devoirs (créée en 1985). Les archives témoignent d’un esprit tout aussi engagé. Dans un numéro d’Enfantillage de 1986 (ancêtre du trimestriel actuel du secteur La Filoche), il exhorte le ministre de l’époque à écouter les travailleurs de terrain, et plus particulièrement les animateurs et coordinateurs en Ecole de Devoirs. Avec son style imagé, il recentre sur l’essentiel : construire “une société plus juste, plus tolérante, plus humaine où l’Enfant, le Jeune serait prince et non bouffon”3.
D’une dizaine de structures dans les années 1970, nous sommes passés aujourd’hui à 346 écoles de devoirs reconnues par l’ONE à la suite du décret de 2004 relatif à la reconnaissance et au soutien des écoles de devoirs. Le processus fut long et l’objet de nombreuses discussions au sein des instances qui coordonnent le secteur. Les plus anciens évoquent encore les débats houleux entre les fortes personnalités des différentes régions. La première proposition de décret en 1988 inscrivait par exemple clairement les écoles de devoirs dans une logique scolaire, sous la tutelle du ministre de l’Enseignement. Les objectifs prioritaires de l’école de devoirs étaient ainsi définis: “le travail de prévention de l’échec et de la rupture scolaire, la mobilisation des parents dans le suivi scolaire de leur enfant, le travail de collaboration entre les écoles de devoirs et les établissements scolaires et la participation à l’élaboration de propositions relatives à l’amélioration de la scolarisation”.
Cette proposition sera refusée par le secteur car elle enferme les écoles de devoirs dans un système uniquement palliatif, parallèle au système scolaire, sans s’attaquer aux causes de l’échec scolaire. Et cela ne correspondait pas aux réalités de terrain : les écoles de devoirs se sont développées dans le cadre d’associations socioculturelles extrascolaires dont les projets incluent par exemple la notion de développement communautaire de quartier. Les inscrire dans une dimension purement scolaire était faire fi de leurs actions émancipatrices aux niveaux social, culturel et intellectuel.
Aujourd’hui, l’avenir des écoles de devoirs est instable. Le Pacte pour un enseignement d’Excellence recommande le retour du devoir à l’école et la modification du rythme scolaire journalier. Par ailleurs, des réformes importantes sont attendues dans le cadre de l’ATL (Accueil temps libre), et concernant notamment l’harmonisation des décrets qui régulent l’accueil extrascolaires, les écoles de devoirs et les centres de vacances. Enfin, les subsides pour les emplois sont régulièrement remis en cause, avec le risque de perte financière dans un secteur qui se bat toujours contre le sous-financement récurrent.
Pourtant, la crise sanitaire l’a encore démontré, ce petit secteur combatif reste un témoin privilégié des difficultés rencontrées par les jeunes, à l’école et dans leur vie en général. Nous revendiquons notre rôle d’interlocuteur qui peut apporter aux différents partenaires, y compris le monde scolaire, un regard différent sur ces jeunes et leur famille. Un regard également positif sur leurs capacités à rebondir, à s’adapter, à se mettre en projet pour mieux comprendre le monde qui les entoure.
Car l’esprit de Barbiana plane toujours sur le secteur des EDD. Tous les enfants sont capables d’apprendre mais pas tout seuls. C’est la solidarité qui doit guider les apprentissages au sens large.
[1] L’asbl CASI-UO en est un exemple. Voir l’article de Maria Teresa Moretti, “La fausse image des parents démissionnaires”.
[2] Voir à ce sujet le dossier “Les écoles de devoirs, regard de l’histoire sur les mobilisations actuelles”, in Dynamiques, n° 13 et 14, décembre 2020, édité par le CARHOP, Centre d’animation et de recherche en histoire ouvrière et populaire.
[3] Extrait du bulletin d’information Enfantillage, 1986, Fédération francophone des Ecoles de Devoirs. Extraits publiés dans le numéro spécial de La Filoche 39 édité à l’occasion des 30 ans de la Fédération. Les Écoles de Devoirs (www.ecolesdedevoirs.be)