Amel Jem3
Ya raï !
Les Rencontres de BRuMM
Douleurs de l’exil et nostalgie dans les musiques migrantes
Chaque année, le festival BRuMM propose une journée d’étude dans un lieu accessible à tous et dans un format convivial propice aux échanges et à la transmission des savoirs. Cette journée est organisée autour de rencontres thématiques durant lesquelles entrent en dialogue à la fois des chercheurs (ethnomusicologues, sociologues, anthropologues…) et des artistes. La journée est aussi rythmée par des interludes musicaux qui permettent de découvrir les musiciens et musiciennes dans leurs pratiques.
14:00 | CHANT D’UN PAYS PERDU
Hommage à Bernard Lortat-Jacob
Par Hélène Delaporte, chargée de projets (CBAI) et co-réalisatrice du film.
Figure centrale de l’école ethnomusicologique française, Bernard Lortat-Jacob nous a quittés en juillet 2024. Directeur de recherche au CNRS, il a été responsable du Laboratoire d’ethnomusicologie du Musée de l’Homme de Paris et du doctorat d’ethnomusicologie à l’Université de Paris X-Nanterre-La Défense. Il a coordonné de nombreuses publications couvrant des problématiques d’anthropologie et de musicologie générale. Ses terrains de recherche ont porté sur l’étude de musiques rurales de la Méditerranée (Maroc, Sardaigne, Roumanie et Albanie méridionale). Il n’a eu de cesse de montrer en quoi les mécanismes musicaux sont indissociables des mécanismes sociaux. Approche qu’il aimait résumer ainsi : « La musique, c’est beaucoup plus que la musique ».
Dans cet hommage posthume, Hélène Delaporte diffusera quelques extraits commentés du film qu’elle a co-réalisé avec Bernard Lortat-Jacob, Chant d’un pays perdu (63 min, 2007, CNRS), prix Bartok 2007 au Festival Jean Rouch (Musée de l’Homme). Le « pays perdu », c’est la Tchameria, au nord de la Grèce actuelle, que les Albanais musulmans ont été contraints d’abandonner après la Seconde Guerre mondiale. Pays de haute nostalgie, donc, que l’on chante et pleure tout à la fois… D’origine tchame, Shaban Zeneli est chanteur et réside à Fier, en Albanie. A l’occasion, il passe la frontière en clandestin, dans le simple but de revoir le village de son père et de son grand-père, désormais en ruine. Sur le coup de l’émotion, il pleure. Lorsque, au terme de son voyage, il retourne chez lui, il éprouve le besoin de raconter le « pays perdu » et plus encore de le chanter. Le film est aussi une réflexion sur la notion de frontière qui nourrit le sentiment de nostalgie, la culture de l’émotion et l’expression musicale.
15:00 | LE FLAMENCO EN HÉRITAGE
Rencontre avec Esteban Murillo
Le flamenco est né au 18e siècle en Andalousie, terre de rencontre des cultures arabo-musulmane, juive et chrétienne. Le peuple gitan, venu d’Inde et installé en Espagne dès le 15e siècle, y a joué un rôle déterminant. C’est un genre musical dans lequel le chant (cante), la danse (baile) et la guitare (toque) sont indissociables. Dans le chant flamenco, l’expression de la douleur est centrale. Comme l’écrit l’ethnologue Caterina Pasqualino, « un chanteur ne doit pas apaiser sa douleur, mais doit au contraire chercher à l’augmenter pendant son interprétation; (…) Pour se mettre en état de chanter, il faut se livrer à une introspection (…) dire sans faux semblant ce qu’on ressent, se donner sans retenue pour parvenir au “chant vrai” (canto verdad) exprimant plus de vérité que le langage commun. » (« La souffrance des chanteurs gitans flamencos », in Sentiments doux-amers dans les musiques du monde, p. 120, L’Harmattan, 2004).
Né Belgique en 1995, Esteban Murillo a baigné dans le flamenco grâce à son grand-père venu en 1964 pour travailler dans les mines de Charleroi : « il avait besoin de chanter pour se vider des souffrances que lui causait l’éloignement de sa terre : le chant était le lien avec sa terre ». Pour Esteban, il n’y a pas plus nostalgique que le flamenco. Avec trois albums à son actif (Leyenda en 2014, Mi Verdad et Poeta en 2022), Esteban Murillo est une des figures clés de la nouvelle génération flamenca. Sur les scènes belges et internationales, il continue d’explorer un art qu’il revisite sans cesse. Avec un talent inouï, son interprétation très expressive du cante jondo semble venir des profondeurs de l’âme. L’intensité de son chant est capable de faire sortir le duende, cet état de grâce fugace qui bouleverse l’artiste et son auditoire.
Un entretien avec Michel Demeuldre, professeur honoraire à l’ULB, spécialiste de la sociologie et de l’anthropologie des musiques populaires, co-auteur et directeur de l’ouvrage Sentiments doux-amers dans les musiques du monde (L’Harmattan, 2004).
15:45 | INTERLUDE
Esteban Murillo chant, guitare
16:00 | PAUSE GOÛTER
16:20 | NOSTALGIE MANOUCHE
Rencontre avec Tcha Limberger
Tcha Limberger est né à Bruges dans une célèbre famille de musiciens manouches. Immense violoniste, multi-instrumentiste, chanteur, compositeur et pédagogue, sa carrière musicale s’étend sur plusieurs décennies dans des genres musicaux différents entre lesquels il navigue avec une adresse et une facilité déconcertantes, mais avec une même approche qui allie virtuosité et émotions profondes.
Fidèle aux influences de son héritage romani, Tcha s’est ouvert dès son plus jeune âge à toutes les musiques du monde. Lorsqu’il se plonge dans un univers, il s’immerge complètement. Il maîtrise une dizaine de langues car pour lui « chanter dans une langue que l’on ne comprend pas n’a pas beaucoup de sens ». Il mène toujours de front plusieurs projets tous aussi fascinants les uns que les autres. A titre d’exemple : Les violons de Bruxelles (jazz manouche), Trio Tatavla (rebetiko grec), le Budapest Gypsy Orchestra et le Kalotaszeg Trio où il chante en hongrois, russe et roumain.
Rom, Manouches, Gitans, Tziganes, des termes contestés qui renvoient à des populations qui ont fait l’objet d’une génocide au 20e siècle et qui subissent encore aujourd’hui d’énormes discriminations et des préjugés persistants là où elles vivent. La musique joue des rôles cruciaux pour ces populations. Quelle place occupe la nostalgie et quelle nostalgie dans ces musiques variées célébrées dans le monde entier ? Comment expriment-elles les souffrances passées et actuelles de ces populations ?
Un entretien avec Marco Martiniello, directeur du CEDEM (Université de Liège).
17:00| INTERLUDE
Tcha Limberger chant, violon, guitare
17:15 | CHILITUDE & CUECA
Felisa Cereceda est née à Berlin et a grandi en Belgique, dans une famille chilienne à haut engagement politique et musical. Petite-fille de Violeta Parra qui incarna la chanson populaire engagée, Felisa évoque sa « chilitude », ou comment aligner son passé d’exilée sur le présent à Bruxelles.
Gonzalo Muñoz, établi en Belgique depuis 2018, est né à Valparaiso où, très jeune, il entre dans le monde de la cueca, danse populaire chilienne, pour ne jamais le quitter, exploitant sans relâche le répertoire dans toutes ses « divergences » possibles. C’est le hasard, la chance, ou peut-être la nécessité qui provoque la rencontre entre les deux artistes. Le répertoire du Duo Surco né en 2024 puise dans des textes engagés qui invitent à repousser les limites. Mais quelles limites ? A creuser lors de cette rencontre et du concert qui suivra à 19h (voir page suivante) !
Une rencontre modérée par Nathalie Caprioli (Imag/CBAI).
18:00 | APÉRO BUFFET DE CLÔTURE
INFOS : www.brummfestival.be
BRuMM est un projet coordonné par le Centre Bruxellois d’Action Interculturelle (CBAI), en partenariat avec La Villa (centre culturel de Ganshoren), la Maison de la Création – MC Bockstael (Laeken), Le Senghor (centre culturel d’Etterbeek), La Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale de Molenbeek, le Centre culturel d’Uccle, en partenariat avec le Centre d’Etudes de l’Ethnicité et des Migrations (CEDEM-ULg) et Digital TransMédia.